Je ne prétendrais pas nier que ce sujet fût l'objet de nombreuses et
diverses clarifications toutes plus intéressantes et instructives les
unes que les autres. Je ne prétendrais pas nier non plus qu'il soit
encore sujet de discorde. Il semble dès lors, malgré tant d'efforts et
d'entreprises si louables, nécessaire et utile de l'éclaircir de nouveau
en cette année d'échéances électorales majeure. Bien trop souvent, je
constate, avec regret, que certains journalistes brillent par la naïveté
de leurs questions, la simplicité de leurs propos et le manque de
rigueur de leurs analyses, ce qui n'est pas sans révéler une vision
quelque peu erronée et étroite de la politique. Prisonniers qu'ils sont
de cette vision dichotomique de la vie politique et, sans doute,
obnubilés par le Front National, ils s'évertuent vainement à assimiler
DLR au FN. « Alors? Debout la République est-il si différend du Front
National? » Éternel débat, obsession tenace, question récurrente à la
réponse pourtant si simple. Jean-Marie Le Pen, lui-même, a clos le débat
après que Floriant Philippot ait sollicité, en vain, Nicolas
Dupont-Aignan dans l'espoir de tenir meeting commun en vue des élections
européennes. « Il est bien évident qu'il n'y a pas d'alliance possible
avec ce monsieur qui est au service de l'UMP ». Avec sa verve si
caractéristique Jean Marie Le Pen semble avoir châtié avec sévérité
l'outrecuidant Philippot dont les déclarations sont révélatrices d'un
malaise certain avec la ligne du Front National.
Certes, Marine Le Pen jouit de confortables sondages, et semble être
plébiscitée à bien des égards par une majeure partie des Français.
Considérer ces derniers comme de véritables sympathisants du discours
frontiste serait une ineptie. A contrario, y voir un vote de
contestation serait une stupidité sans nom. Crier au danger ne
résoudrait rien. En revanche, « un danger cesse d'être épouvantable, si
l'on en connaît les causes » constatait avec brio Konrad Lorenz dans Les
huit péchés de notre civilisation. Pourquoi donc le Front National
bénéficie-t-il de sondages si favorables? Pourquoi le Front National
semble-t-il dominer la scène politique? Jamais les partis traditionnels
n'ont suscité autant de défiance de la part des Français. Jamais les
partis traditionnels n'ont été si éloignés des préoccupations des
Français. L'UMP, le PS et leurs alliés se sont décrédibilisés après
trente ans d'échec politique, de soumission à Bruxelles et à des
intérêts économiques qui ne se préoccupent pas de la France. Ils ne
règnent, ni ne gouvernent. L'alternance n'est qu'une galéjade et les
Français l'ont désormais compris. Le système UMPS périclite emportant la
France dans son inexorable chute. Naturellement les Français, qui ont
le sens de la Nation et de la fierté, se tournent vers ce qu'ils
considèrent être une alternative crédible au moins depuis que les médias
participent activement à ce vaste mouvement de « dédiabolisation ».
Mais soyons lucides et regardons objectivement la situation. La
stratégie de « dédiabolisation » du Front National semble fonctionner eu
égard à la hausse significative des adhésions au parti (si l'on se fie à
la véracité des chiffres communiqués). Le Front National adopte un
discours moins polémique et plus policé. Soit. Mais est-ce par
conviction ou nécessité? Il y a de quoi être dubitatif lorsque cette
entreprise de normalisation se confronte à ligne dure du Front National,
celle de la base militante du parti, ou lorsqu'il entre clairement en
opposition avec les déclarations du Le Pen père ou d'un Gollnisch,
friands de polémiques et de propos subversifs. L'opiniâtreté avec
laquelle le Front National entend renier son héritage en se réclamant du
gaullisme ne doit pas éclipser l'antagonisme profond d'un parti dont
l'identité reste encore obscure, vague et trouble. Une ambiguïté qui se
fait également jour dans la doctrine économique du parti. Le Front
National des origines s'accommodait bien d'un discours néo-libéral,
traduction d'un programme économique ultra-libéral à une époque de
fascination mystique pour la politique économique et sociale
d'Outre-Atlantique (la fameuse « Reaganomics »). Jean Marie Le Pen ne
prônait-il pas la fin des monopoles de La Poste et de l'EDF (premier pas
vers une privatisation) en même temps qu'il dénonçait « l'État
pléthorique et impuissant »? N'est-il pas celui qui se targuait d'être
le « Reagan français » au point même de développer une sympathie
atlantiste? Au gré des circonstances économiques et des évolutions
sociales, et dès son arrivée à la présidence du Front National en 2011,
Marine Le Pen fut prompte à opérer une révolution idéologique, qui a
bien du mal encore à s'imposer dans les rangs frontistes, et à adapter
son discours pour mieux séduire les travailleurs et les classes
populaires, par ailleurs déçus par la rhétorique socialiste ou
communiste. Signe révélateur d'un malaise idéologique profond et
persistant entre deux lignes fondamentalement opposées et antinomiques.
L'une étatique, récente et incertaine, l'autre ultra-libérale, solide et
traditionnelle avec laquelle le Front National ne peut rompre et ne
veut rompre. La politique ne peut souffrir d'une telle ambivalence. Elle
contribue bien au contraire à alimenter doutes et incertitudes sur les
convictions réelles et les connivences possibles du Front National,
notamment en ce qui concerne leur opinion sur le Marché Transatlantique.
Certes, il ne s'agit pas de nier l'existence de convergences de vues
(une certaine idée de la France et de ses valeurs). Mais faut-il
considérer pour autant le FN comme un parti gaulliste? En chassant le
naturel, celui-ci revient inévitablement au galop. Le revêtement
gaulliste du Front National semble bien paradoxal pour un parti dont
l'héritage est directement lié à l'OAS en témoigne le récent hommage de
Louis Alliot, époux de Marine Le Pen et numéro 2 du Front National, à
Bastien-Thyri, cerveau de l'attentat du Petit-Clamart visant à
assassiner le Général de Gaulle. Les exclusions n'y changeront rien. Les
racines du Front National sont si profondément corrompues qu'il est
vain de s'entêter à en élaguer les branches les plus pourries.
La dénonciation de l'Euro, de l'atlantisme, des rigueurs de l'Union
Européenne n'est pas le monopole du Front National. Philippe Séguin,
Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Dupont-Aignan ont tous, dès les années
1990, dénoncé et combattu, contre vents et marées, ce système mortel
pour les nations européennes. Et il ne serait pas judicieux de laisser
de tels sujets à la discrétion du FN. Les gens raisonnables ne doivent
pas s'interdire de s'approprier les thèmes défendus par le Front
National, dans un esprit républicain et patriote. Pourquoi donc
s'acharner à vouloir assimiler deux partis si fondamentalement opposés
sur l'héritage et sur les idées? Car il est simplement inconcevable,
pour la classe politique et les milieux intellectuels, qui aiment à se
complaire d'illusions, de vouloir changer radicalement de politique sans
être d'extrême droite. Si l'aveuglement idéologique de nos élites
n'étonne pas, celui des médias est bien plus inquiétant et préfigure un
avenir bien sombre. Un bon journaliste enquête, tend à faire preuve
d'esprit critique et à vérifier l'exactitude de ses informations. A bon
entendeur.
Quentin Bouclet